Mardi 4 mars 2025.
À 00:30, le train démarre et on quitte enfin Del Rio. On est content ! Sur notre gauche, au sud, on voit le mur de la frontière, le mur de Trump. Il est imposant ce mur, mais certains aspects sont étonnants. Déjà, toutes les portes sont ouvertes. Ensuite, seules certaines sections sont éclairées. Enfin, le mur n’est pas continu. Des fois, il manque des sections. Bon, ça a dû avoir le mérite de filer du boulot aux soudeurs du coin…
Peu après, le train s’arrête. Perso je roupille. Mais rapidement, Alex me met en garde : une grosse tempête pointe le bout de son nez. Droit devant à l’ouest, on voit des énormes éclairs dans la nuit. Et le vent se lève aussi, un vent froid. Alors tant bien que mal, on sort les habits chauds. Le train est reparti, et plus il avance, plus il fait froid. Je finis par sortir le sac de couchage, tant pis pour la saleté. Parce que oui, un train c’est sale. Le grainer d’hier était pire, mais notre wagon du jour est lui aussi couvert d’une poussière de fer très fine. Quand on monte sur un train, il faut quelques secondes pour avoir les mains noires et quelques minutes pour se pourrir les fringues. D’ailleurs, mon jean est déjà plus gris que bleu depuis hier.


Finalement, la chance est avec nous et on ne se prend pas la flotte. Mais on reste dans le vent froid jusqu’au jour. Au petit matin, le train navigue sur une petite voie ferrée au fin fond du Texas. Le paysage a bien changé et maintenant on est vraiment dans un décors de Western. Il n’y a rien autour, juste quelques barbelés, qui doivent délimiter des propriétés.
Sauf que le train s’arrête à 8h et ne repart pas. Vraiment pas. Alors on est là, perdus au milieux de rien à attendre que le train veuille bien bouger. Comme c’est très long, je bouge faire une promenade en début d’aprèm. Le tout est de rester proche de mon wagon parce que souvenez vous : 2 minutes après le démarrage du train, il ira trop vite pour que je puisse monter dessus. Et le train peut démarrer à tout moment.



Et vla ti pa que 5 wagons en amont du notre, je tombe nez à nez sur un camarade. Il a des vêtements solides, crades et abîmés, la peau tannée par le soleil, le regard sage et un peu fatigué. Il lit un bouquin en caressant son chien. Il est assit sur un wagon, comme nous sur le notre. C’est Keegan, aka Big Bill (eh ouais, les hobos ont des blazes).

On discute un peu et je lui propose de nous rejoindre, Alex et moi. Et c’est comme ça qu’on passe l’aprèm à discuter tranquillement. J’essaie de lui poser des questions un peu perso, mais il ne s’étend pas trop. Pour autant, on sait qu’il fait du train depuis une dizaine d’année. Il a 39 ans mais il fait beaucoup plus jeune malgré sa vie en extérieur. Il ne nous a pas dit comment il s’est retrouvé à la rue. Par contre il nous dit comment il a commencé à faire du train. Un soir à Portland (sa ville natale), alors qu’il était à la rue, il s’est fait méchamment casser la gueule. Alors qu’il avait le moral dans les chaussettes et qu’il voulait quitter la ville, un jeune de la Nouvelle-Orléans lui a dit de monter dans un train et d’aller voir ailleur. Alors il s’est pointé au yard avec 3L de vin et une petite bouteille d’eau et il est monté dans un train. Il n’y connaissait rien, il a eu soif. Et il a accroché. Avec le temps, les erreurs et les rencontres, il a apprit à voyager gratuitement comme ça.
Keegan a une notion du temps assez différente de la notre. Il voyage très lentement. Il mange uniquement en mendiant, se déplace presque uniquement en train. Il nous dit que ça lui est déjà arrivé de faire du stop une semaine au même endroit sans que personne le prenne! Alors il évite le stop, ça se comprend. D’ailleurs, nous aussi on en a marre du stop aux states.
Et puis la nuit tombe et la fraicheur se réinstalle. Avec Alexis, on a ouvert un container vide pour moins se peler. Keegan ne veut pas nous rejoindre car sa chienne à peur de monter. Et à 20:30, on repart. Youpi ! Alors je monte m’installer dans le container, je sors le matelas et le sac de couchage et je dors bien, malgré le bruit et les mouvements frénétiques du wagon.
Mercredi 5 mars 2025
On a roulé à fond toute la nuit. Keegan nous a quitté lors d’un arrêt à Alpine, vers 1h du mat’. Au petit matin, on a traversé El Paso et on a quitté le Texas.

À 8h, le train s’arrête au yard de Santa Theresa, à l’entrée du Nouveau Mexique. Après une heure et demie d’attente, on commence à se poser des questions : pas envie de rester coincer sur ce train toute la journée au yard ! Alors on saute sur un autre train, mais il part dans la mauvaise direction. On re saute sur notre train… Et là, miracle on se remet en route !
Et on passe une journée mémorable à traverser le désert sur notre train. On admire le paysage, on prend des photos, on fait la sieste, on mange et on bouquine. Le tout en extérieur, en bougeant jusqu’à 100km/h sur certaines sections. C’est bruyant mais à part ça, c’est un régal.


On arrive à Tucson à 18h. On débarque, on sort du yard et on marche vers le centre pour trouver un motel. On est crasseux, mais vraiment heureux. En 3jours de train, on a parcouru 1400km à travers le grand vide du sud des États-Unis. On a attendu, on a eu froid, on a eu peur. Mais on est tellement heureux d’avoir réussis. Personnellement, j’ai très envie d’y retourner.