Commençons comme tout livre de développement personnel. J’étais un grand timide. Je me souviens très bien d’une fois, quand j’étais en sixième. Un ami de mon frère (qui s’aime pas mal) me demandait combien d’amis j’avais.
J’avais préparé ma réponse, parce que dans mon collège la pire chose qui pouvait (socialement) arriver était d’être catégorisé de Sans Ami. Déjeuner seul à la cantine était le signe de la bolosserie absolue.
J’ai donc répondu 7 ! J’avais compté plusieurs fois. Le chiffre était gonflé avec des connaissances. Je le trouvais pas trop mal. J’étais pas un Sans Ami.
L’ami de mon frère est ensuite parti en discours sur ses 50 amis qui “franchement ce sont tous des vrais amis”.
Bravo à lui. Bien sûr, ce n’est pas le chiffre qui compte. L’important est de se sentir entouré de gens fiables, avec qui on se sent bien. On vit dans une société de solitude. Après un déménagement, se refaire des cercles amicaux peut être très difficile, surtout une fois sorti des études. Il m’importe personnellement de cultiver mes liens précédents, qui me sont précieux, et de ne pas m’enfermer pour autant dans des cercles figés, socialement fixes, où plus personne de nouveau n’entre.
Je lis régulièrement sur le sujet, et j’adore découvrir les règles tacites, parfois universelles ou quasi, qui sont appliquées avec plus ou moins de succès, par des gens qui ne sauraient pas les exprimer.
Tout ce que je vais dire est évident par certains aspects, mais vous ne l’avez pas forcément pensé sous cet angle, ou tout en même temps.
Voici donc un tuto complet, à peu près scientifique et vaguement sociologique pour vous faire crer, garder et cultiver des copains.
Partons de la base.
Les 3 lois universelles d’attraction sociales.
Source principale : https://www.youtube.com/watch?v=hmo2uQbpdbI
La recherche en psychologie (apparemment) converge vers l’idée qu’il existe 3 règles universelles chez l’humain de l’attraction sociale.
- Qui se ressemblent s’assemblent
On a plus de chance de devenir ami avec des gens qui nous ressemblent, à peu près sur tous les critères : âge, genre, milieu social, goûts culturels. Non seulement le fait de se ressembler augmente les chances de l’apparition du lien amical, mais il crée aussi les conditions de la rencontre : je rencontre au club de karaté des gens qui aiment le karaté, je rencontre dans ma classe à l’école des enfants de mon âge. A l’inverse, un début d’amitié peut s’interrompre à cause d’une trop grande différence. De valeurs politique par exemple.
Cela pas en brèche l’idée que les opposés s’attirent. On peut être opposé sur certains critères, c’est globalement une certaine ressemblance sur d’autres qui va favoriser la création d’un lien.
- Les amies de mes amies sont mes amies.
Les relations humaines ne se forment pas au hasard : elles s’organisent en réseaux. Chacun de nous est un nœud relié à d’autres par des liens plus ou moins forts — famille, collègues, amis, connaissances. Ce réseau s’étend à une échelle vertigineuse : selon les recherches menées sur les réseaux sociaux modernes, nous ne sommes séparés que de 3 à 4 degrés de connaissance de n’importe quel individu sur la planète.
Autrement dit, le monde est minuscule : l’ami d’un ami d’un ami peut très bien être un futur colocataire, partenaire de projet ou grand amour.
Mais ces réseaux ne sont pas uniformes : ils ont tendance à se refermer sur eux-mêmes. Nos amis se connaissent souvent entre eux, et les groupes d’amis forment des clusters — des petits mondes à l’intérieur du grand. Ce phénomène s’appelle la fermeture quadratique : si A connaît B, et que B connaît C, la probabilité qu’A finisse par rencontrer C est bien plus élevée que si ces liens étaient distribués au hasard.
C’est une loi presque mécanique du tissu social : plus deux personnes partagent d’amis communs, plus il devient facile pour elles d’entrer en contact, et plus leur lien futur sera fort.

Votre terrain de chasse : les amis de vos amis.
Ce principe a une grande incidence sur la manière d’aborder la sociabilité. Quand on débarque dans une nouvelle ville, il est inutile de chercher à multiplier les rencontres isolées : mieux vaut consolider un premier cercle, puis laisser les réseaux s’entrelacer.
Chaque ami est un filon, un pont potentiel vers d’autres personnes compatibles. Les liens se propagent par proximité, et chaque interaction bienveillante ouvre potentiellement tout un nouveau monde social.
Et c’est justement dans cette dynamique d’ouverture que se cache la troisième loi.
- Plus t’en as, plus t’en auras…

Plus une personne a d’amis, plus on a de chances de la rencontrer. Toutes les amitiés ne se valent pas en termes de connectivité. Dans le grand réseau social humain, certaines personnes sont de véritables hubs — des gares de correspondance où convergent des dizaines, parfois des centaines de relations.
Si vous vous liez d’amitié avec une Part-Dieu sociale, vous augmentez instantanément vos chances d’être mis en contact avec de nouveaux cercles, de découvrir d’autres milieux, d’être invité à des événements, bref, de faire des rencontres en cascade.
À l’inverse, si vous ne tombez que sur des Dardilly-les-Mouilles, vous risquez de rester dans un réseau plus restreint, où les nouvelles connexions se font rares.
Bien sûr, tout est question de degré, et nombre d’entre nous préfèreront une petite gare de correspondance qui nous ressemble à un hub international impersonnel où on ne se sent pas très à l’aise.
Néanmoins, cela signifie concrètement qu’il suffit souvent d’une seule personne bien connectée pour transformer toute votre vie sociale. Trouver ce hub, ce contact qui “ouvre des portes” est bien plus stratégique que de multiplier les rencontres au hasard.
Dans le monde physique
Bravo, vous connaissez la théorie, et si vous avez compris les choses de façon trop littérale, vous êtes actuellement à gare du Nord. Les seuls amis que vous vous faites ont tenté de vous soutirer du fric ou de vous vendre des clopes. Une bonne âme vous a peut-être aidé car vous aviez l’air perdu dans cette jungle urbaine. Mais là voilà qui repart, et vous ne la reverrez jamais.
C’est normal : toutes les interactions humaines ne sont pas égales. Certaines se font dans le tumulte, d’autres dans l’intimité, et rares sont celles qui permettent vraiment de construire un lien. On ne plante pas une graine d’amitié sur le bitume d’un quai de gare : il faut un terrain plus fertile. Et contrairement à ce que nos métaphores de hubs et de réseaux pourraient laisser penser, ce terrain propice n’est pas la gare. Ni le métro. Ni les files d’attente de la CAF (enfin sauf si certains critères sont remplis, on va le voir).
Alors, où rencontrer des gens — pour de vrai ?
C’est là qu’entre en scène un concept sociologique aussi utile que poétique :
Le tiers-lieu
Dans le premier lieu, chez vous, il n’y a normalement que des gens que vous connaissez déjà. Ce n’est pas propice à la rencontre.
Dans le second lieu, le travail, on croise des gens, certes, mais le cadre professionnel impose des codes parfois lourds et peu propices à l’amitié. Et tout le monde n’a pas envie de devenir ami avec son manager ou de parler de ses week-ends à la machine à café.
Le tiers lieu (ou third place, selon Ray Oldenburg) désigne un espace situé entre le domicile (1er lieu) et le travail (2e lieu), où les gens se rassemblent librement pour échanger, se détendre et créer du lien social — comme un café, une bibliothèque, un bar, un parc, ou un atelier associatif.
Ce sont des lieux d’habitués mais ouverts à l’arrivée de nouveaux ou d’irréguliers, sans pression hiérarchique. Les tiers-lieu offrent un cadre neutre où la conversation, la régularité des rencontres et le sentiment d’appartenance permettent de tisser des liens authentiques et durables. Le fait d’être dans un lieu de réguliers où le contexte rend une rencontre normale facilite le tissage de lien.
Le concept de tiers lieu est très souvent détourné par des projets commerciaux sans liens. Pour un job de merde, j’ai fait homme-sandwich dans un congrès des offices HLM, sur un stand qui se revendiquait comme un tiers lieu. On ne pouvait pas en être plus éloigné. Ray Oldenburg pensait originellement avant tout aux débits de boisson, cafés, bars du village où ça va, ça vient et ça papote. Je rajouterai sans rigueur scientifique que ces lieux peuvent être virtuels (un discord assez actif, un serveur minecraft, une guilde sur un MMO). Personnellement je vais souvent dans un bar associatif axé sur l’apprentissage des langues, ce qui rend naturel le fait d’aller parler à n’importe qui. Les salles d’escalade en bloc sont notoirement connues pour être de bons lieux de rencontre. Des ateliers d’activité régulière ou de sport, bien que pas forcément centrées sur un lieu spécifique, rentrent en ligne de compte aussi à mon sens.
Ensuite, il faut se parler
Bravo, vous vous rendez régulièrement dans un lieu où vous voyez souvent les mêmes têtes de gens qui aiment au moins une activité comme vous. Mais vous les regardez dans le blanc des yeux, et votre présence devient inquiétante. Vous avez fini par comprendre seul qu’il faut interagir avec les autres. Mais zut, vous avez tunnelisé tout le monde avec votre description de vos huit derniers repas et les gens vous fuient. C’est que vous ne vous y prenez pas comme il faut !
La philosophie de l’impro
En impro, on apprend à se retrouver face à quelqu’un, sans préparation, sans avoir rien de spécial en tête à raconter, et à finalement passer un bon moment avec cette personne, essentiellement en parlant. Vous vous dites peut-être qu’une discussion normale n’a rien à voir avec un improvisateur qui va se mettre à incarner un poux qui a faim de cuir chevelu. Vous auriez tort ! Certes, l’impro passe par le fait d’incarner des personnages, mais le principe fondamental de l’impro, c’est l’écoute. Une écoute active de personne à personne en train de jouer, et pas de personnage à personnage.
L’écoute est considérée de façon large. La grande phrase-clé que l’on répète partout et tout le temps :
L’écoute, c’est donner et recevoir.
C’est-à-dire : être disponible mentalement pour écouter, comprendre, et rebondir, répondre d’une manière qui prend en compte ce qui est dit, sans rien en effacer, en allant même que considérer que l’idée du joueur avec qui l’on joue est forcément la meilleure idée qui aurait pu être. Il s’agit aussi d’être précis, compréhensible, voire de chercher à être généreux envers l’autre, avec des idées qui pourraient lui procurer du plaisir de jeu. On ne se contente pas de balancer le délire qui nous passe par la tête avec une ref qui ne parlera qu’à ses potes dans le public.
Fondamentalement, il se pourrait bien les mêmes dynamiques soient à l’œuvre dans une conversation et dans une impro. C’est ce que suggère ce papier du psychologue Adam Mastroianni. Je ne saurai mieux l’expliquer qu’avec ses mots (traduits) :
Lorsque c’est bien fait, le fait de donner et de recevoir crée ce que les psychologues appellent des affordances : des caractéristiques de l’environnement qui permettent de faire quelque chose sans avoir à y réfléchir. Les affordances physiques sont des éléments comme les escaliers, les bancs, et les poignées. Les affordances conversationnelles sont des éléments comme les digressions, les confessions et les affirmations audacieuses qui appellent une réplique. Parler à une autre personne ressemble à l’escalade, sauf que vous êtes ma paroi rocheuse et que je suis la vôtre. Si vous tendez la main, je peux l’attraper, et nous pouvons tous les deux nous hisser vers le ciel. Peut-être est-ce pour cela qu’une conversation vraiment agréable donne un peu l’impression de flotter.
Ce qui compte le plus, alors, n’est pas combien nous donnons ou recevons, mais si nous offrons et acceptons (recevons) des affordances.
Avec cette manière de voir les choses, on peut distinguer deux manières complémentaires de créer des discussions intéressantes.
Certaines affirmations ont de grandes poignées saisissables « Je suis un peu mal à l’aise quand les couples traitent leurs chiens comme des bébés »)
D’autres, pas du tout : « Laissez-moi vous parler de l’intrigue du film Must Love Dogs… »
Certaines affirmations incitent à attraper ces poignées « Mes amis m’ont demandé d’être le parrain de leur Corgi, c’est fou ! » Wow, parrain d’un chien ? Comme c’est curieux et on veut en savoir plus.
De même, certaines questions ont de grosses poignées « Pourquoi pensez-vous que vous et votre frère êtes si différents ? »
Et d’autres non « Combien de vos grands-parents sont encore en vie ? ».
Mais même une affirmation sans affordance (sans poignée) peut être accueilli par une prise avec affordance. On peut répondre à la question sur les grands-parents avec juste un chiffre, ou faire une ouverture avec poignée de portes : « J’ai encore une grand-mère en vie, et je pense beaucoup à tout ce savoir qu’elle possède – comment élever une famille, comment faire face à une tragédie, comment faire du pain au chocolat et aux courgettes – et comment je me sens anxieux à l’idée d’apprendre d’elle tant que je le peux encore ».
Les personnes qui sont les meilleures au small talk seraient celles qui mettent le plus de “poignées de porte” dans leurs discussions. Cela passe donc par deux manières :
- Ne pas chercher à être intéressant, mais à être intéressé. C’est-à-dire dénicher les poignées de portes même quand elles sont petites et mal huilées, et les saisir.
- Proposer des poignées de portes. Offrir à l’autre une occasion de rebondir. Ne pas parler en termes flous, mais glisser dans ce qu’on dit des éléments saisissables, des détails humains, des émotions, des anecdotes ou des petites curiosités qui ouvrent une brèche.
Si vous ne faites qu’écouter sans rien offrir, l’échange s’éteint doucement, comme une bougie sans air. Si au contraire vous monologuez sans jamais tendre de poignée, vous laissez l’autre dehors, sans possibilité d’entrer dans votre monde.
Ferrer le poisson (de l’amitié)
Vous voyez régulièrement des gens. Vous avez une conversation agréable. Mais plusieurs problèmes se posent :
- Il y a des gens qui vous parlent de la météo, et vous vous en battez les steaks, mais alors royalement.
- En voulant offrir une belle poignée de porte, vous parlez d’un deuil douloureux à une personne que vous venez à peine de rencontrer, et la situation est étonnamment gênante.
- Au contraire, vous gardez tout un tas de chose pour vous, et toutes ces relations nouvelles semblent superficielles.
Une fois de plus, j’ai une solution pour vous. Ca s’appelle les niveaux de vulnérabilité.
Parler de soi, c’est se révéler et se rendre vulnérable. Autrement dit, c’est un risque. C’est se mettre face au risque d’être jugé voire moqué. La sensibilité au jugement d’autrui est une capacité fondamental pour un être humain. Y être trop sensible pousse à s’auto-censurer, à refuser de se rendre vulnérable à un trop haut degré. Y être trop peu sensible pousse au manque de respect des autres et de leur sensibilité.
Lorsque l’on rencontre quelqu’un, on va fréquemment parler ou donner son opinion sur des choses très banales, d’évènements non émotionnels extérieurs (la météo, un bon resto). On débute sur un niveau de vulnérabilité quasi-nul.
Plus on va connaitre des gens et se sentir à l’aise avec eux, plus on va se permettre de parler de sujets chargés en émotion et plus intimes. Plus on va donner ses opinions sujets à débat, parfois enflammés. Plus, aussi, on va se permettre de parler de la relation qui nous lie à l’autre. Dire (sincèrement) à un ami combien il compte pour nous, c’est montrer un haut niveau de vulnérabilité. Si cette affection n’est pas partagée, on se trouve en position de faiblesse. Il y a un déséquilibre qui peut faire mal. Mais s’il n’y a pas de déséquilibre, ça fait du bien.

L’idée concrète derrière ce concept, c’est de prendre conscience de ces niveaux de vulnérabilité, et de faire en sorte de les grimper pas à pas, avec autrui. La vulnérabilité, c’est mutuel.
Si vous vous sentez à l’aise, que vous estimez que la relation peut monter d’un cran, montez d’un niveau de vulnérabilité. Passez de parler de la météo à parler d’un hobby. Et si l’autre parle d’un hobby en retour ou d’un élément du même ordre, et qu’une fois de plus vous le sentez, vous pourrez passez à au niveau supérieur, etc.
L’avantage de cette manière de voir les choses, c’est que vous éviterez de demeurer trop timide, si c’est votre problème, ou au contraire de vous enflammer pour une personne dont au fond vous ne connaissez rien, ou seulement des choses superficielles. Peut-être cela vous permettra aussi d’offrir certaines informations vous concernant comme si c’était un cadeau, et non pas une révélation honteuse, et d’accueillir certaines confidences ou remarques d’un ami comme une preuve de confiance et d’amour.
Cultiver l’amitié
Pour la suite, je vous laisse gérer. Les gens sont compliqués. Certaines relations vieillissent comme du bon vin. D’autres s’essoufflent. Il y en a qui fleurissent contre toute attente.
En tout cas, vous savez maintenant comment vous faire des amis et éviter d’effrayer les inconnus avec vos traumas d’enfance à la première pinte.
Si un jour, un ami de votre frère vous demande combien d’amis vous avez, vous pourrez sourire et répondre, de façon énigmatique:
“Je n’ai plus besoin de les compter”
Et franchement, c’est l’essentiel.
