Jour 4 : Ce soir, on a rendez-vous de l’autre côté de l’île avec Claudia, la cousine d’Anna, chez une amie à elle pour manger. Pour s’y rendre c’est facile, il suffit de marcher tout droit en suivant la côté. Le long de la route, il y a plein de petits étales qui vendent les mêmes produits locaux qu’au marché. Comme on est pas pressés, on passe un peu de temps à discuter avec les dames qui tiennent les étales et un pêcheur super fier de nous montrer sa pirogue. A midi, on s’arrête manger dans un des rares snacks. A côté, un mec ivre mort comate dans l’herbe en plein soleil. Tout le monde le connait, mais tout le monde est aussi d’accord que la meilleur chose à faire est de le laisser là en attendant qu’il désaoule tout seul comme un grand. Il y a aussi un rasta défoncé qui sourit bêtement et tape la discute aux passants. C’est jovial.
Le soir, on mange chez Karine. C’est une femme au foyer, mais en fait elle fait plein de trucs. Elle est maraichère et elle cuisine plein de trucs qu’elle vend aux boutiques de l’île. Elle vit avec ses trois enfants dans une minuscule maison avec deux pièces de 9m² : une cuisine et une chambre. La salle de bain est à moitié dehors et les toilettes sont au fond du jardin. Le repas est délicieux et ultra copieux. A part le riz, tout ce qui ne vient pas du jardin est le fruit de la pêche de son frère. Sa fille de 10 ans nous explique l’histoire de l’île en Créole, elle adore parler.
Pour faire court, les premiers colons étaient des français huguenots en exil qui voulaient fonder une utopie sur l’île en 1691. Le boss de l’expédition était François Leguat, qui est connu pour avoir décrit la faune et la flore de l’île dans un bouquin. A l’époque, il y avait surtout de la forêt et des tortues géantes sur l’île. C’est cool, du coup ils avaient à bouffer. Le problème c’est qu’ils étaient juste 7 mecs et qu’au bout de deux ans ils ont compris qu’ils avaient été abandonnés sur l’île. Et comme ils se faisaient sérieusement chier, François et ses potes ont construit une embarcation et ils ont rejoint l’île Maurice.
Après ça, ce sont les français qui sont venus s’installer 30 ans plus tard avec quelques esclaves. Globalement, ils étaient pas nombreux et occupaient juste l’île. Ils faisaient probablement pas grand chose à part survivre et exporter un max de tortues. Ils étaient efficaces puisqu’ils ont éradiqué totalement les tortues ainsi que la plupart des oiseaux de l’île. La forêt primaire est aussi passée à la trappe à cette époque là.
Finalement, ils se sont rendus aux anglais parce qu’ils n’avaient aucune chance et de toute façon ça n’a sans doute rien changé pour eux. Après l’abolition de l’esclavage, pas mal d’anciens esclaves sont venus s’installer sur l’île et voilà, c’est à peu près tout.
Avant, les gens n’étaient pas très éduqués mais entendaient des noms stylés à la radio ou à la télé. Ça a influencé les prénoms et maintenant on peut croiser à Rodrigues des Elvis Presley, des Clint Eastwood, des Taxi Stand, des Stay Away Joe ou plus simplement des Clitoris (on parle toujours de prénoms, hein).
Pour revenir à Karine et sa famille, ce qui me bluffe c’est aussi la gestion de l’eau. En fait, comme l’eau est très rare sur l’île, il n’y a pas d’eau courante. Enfin si, mais le robinet est ouvert environ 3h tous les mois. Alors il faut remplir la grosse cuve qu’ont toutes les familles et se rationner jusqu’à la prochaine livraison. Sauf que la pompe qui permet la livraison d’eau à cet endroit de l’île était en panne les 3 derniers mois. Du coup, quand la cuve est vide il faut faire comme avant, c’est à dire aller chercher l’eau au puit. D’ailleurs, les rodriguais sont connus à Maurice pour être plus costauds et plus débrouillards que les Mauriciens, tout s’explique maintenant.
Les enfants ont des portables. Karine nous explique à quel point ça leur grille le cerveau. À l’entendre, c’est comparable à l’alcool en terme de perte d’argent, de débilisation et de dépendance. J’avais déjà observé ça à Maurice : avec un smartphone, tout le monde a maintenant accès à l’informatique et à la connaissance universelle. En trainant un peu sur la toile, tout le monde pourrait partager des recettes, proposer des activités pour les touristes ou apprendre des nouvelles techniques de culture en milieu aride par exemple. Mais non, un smartphone c’est surtout pour regarder des conneries sur Tiktok ou acheter des cryptos en espérant devenir millionnaire.
Dehors, il y a beaucoup de vent et ils nous proposent de dormir chez eux. On accepte et on dort dans la cuisine. La maison grouille de geckos et je les entends se battre dans les casseroles à 20cm de ma tête. Ca ne m’empêche pas de passer une excellente nuit, propre et sur un vrai matelas.
Jour 5 : Après un bon petit déj, Karine et sa fille nous font visiter le jardin. Ici, tout pousse très bien, enfin quand il y a de l’eau… Elles ont aussi quelques bêtes, comme beaucoup de familles ici. Si j’ai bien compris, les poulets sont plutôt pour la consommation locale alors que les moutons, les cabris et les vaches sont principalement pour l’export vers Maurice.
Le reste de la matinée, on s’attelle aux activités touristiques classiques du coin. D’abord, la caverne patate. Vous savez que j’aime bien les souterrains et je retrouve enfin le calme et l’atmosphère des galeries calcaire. Faudrait que j’essaie de faire de la spéléo en rentrant. La deuxième attraction, c’est le parc François Leguat avec ses tortues géantes. Le but du parc est d’essayer de recréer un peu la forêt primaire de l’île avec les fameuses tortues. Celles-ci viennent des Seychelles, seul archipel de l’océan indiens où elles n’ont pas été totalement exterminées. On peut les toucher et leur donner à bouffer, c’est très marrant.
On passe la fin de la journée à marcher sur la côté ouest. C’est l’endroit le plus sauvage de l’île, il y a surtout du bétail et quelques villages éparpillés, c’est très tranquille. Le lagon est gigantesque, on aperçoit à peine la barrière de corail.
Jour 6 : Ce matin, il pleut on est pas pressés de sortir de la tente. Dans ces cas là, on écoute le Floodcast, un podcast très porté sur le pipi/caca et ça, ça nous fait beaucoup rire. D’ailleurs le caca est un de nos sujets de conversation principaux quand on marche avec Anna. Et d’ailleurs on marche pas mal ce jour. On longe la côte ouest et nord. Ce côté de l’île est toujours très sauvage, on croise surtout des vaches. D’ailleurs, avec la pluie de la nuit, les bouses sont pleines de champignons magiques (enfin je crois, mais je vais pas faire de folies). On est dimanche et presque tout est fermé. Pour autant, contrairement à Maurice il y a du monde dehors, des hommes construisent leur maison, jouent aux cartes, squattent les parcs en buvant du rhum. Il y a globalement moins de femmes dehors.
En fin d’après-midi, je monte dans les hauts à pied alors qu’Anna fait des courses avec sa cousine. Le paysage est différent avec une forêt tropicale beaucoup plus humide que tout ce qu’on a vu sur la côte. Il y a des habitations perdues dans la forêt, accessibles uniquement par d’étroits sentiers boueux. Le soir, on discute pas mal avec Claudia et sa maman. Elles ont un magasin à Petit Gabriel, dans les hauts de l’île. L’électricité est arrivée seulement dans les années 80 sur l’île. Dans la boutiques, ils vendaient tout au détail : farine, riz, sucre mais aussi l’huile et le pétrole pour l’éclairage. Tout le quartier vient ici pour acheter le nécessaire, il n’y a quasiment pas de supermarché sur l’île.
Jour 7 : On prend le petit avion à hélice qui nous ramène à la maison, c’est déjà fini. Je sais pas si quelqu’un d’autre que ma famille et mes amis vont lire ça, mais si vous pensez aller à Rodrigues pour barouder et sortir des sentiers battus, c’est vraiment l’endroit idéal. C’est facile d’aborder les gens, de dormir dans leur jardin ou n’importe où dans la nature, de discuter, d’aller pêcher avec les locaux, etc. Enfin beaucoup plus qu’à Maurice ou à la Réunion en tout cas.