De l’intérêt de bien affûter son Espagnol

Le blaireau est un animal qui aime les kébabs

Nous sommes le 24 septembre 2021, il est 14h30 et je suis en retard. Carla et Mathilde m’attendent pour partir à Donostia (Sain Sébastien), on n’a aucune idée d’où est passé Gabriel.
J’ai Faim.
Je décide de satisfaire mon appétit au moyen d’un investissement fort rentable : le Kébab espagnol à 4€, recommandé par Julien de Capital.com. Je vois sur maps une boutique notée 3,8. C’est sur mon trajet, j’aime les kébabs, ce sera parfait. Est-ce que ce sera bon, ça, c’est une autre question.

La boutique est typique: ses vitres sont ornées de présentations des différents menus proposés, ventant leur qualité et leur peuchérisme. Il y a de magnifiques photos des sandwichs, accompagnées de leurs dénominations respectives en grosses lettres jaunes sur fond rouge. Pourquoi ces couleurs ? Ce sont très certainement celles qui attirent le mieux l’attention. Mais bon, moi j’y vois surtout des frites bien huileuses sur leur lit de ketchup. C’est gras, c’est gros, c’est McDo.

J’entre.

Par rapport aux autres kébabs de la ville, l’intérieur des plus grand et plus éclairé et plus propre (un peu hein, ça reste un kébab). La viande sur la broche ne fait pas non plus exception, elle a l’air moins lisse et moins industrielle qu’ailleurs. Agréablement surpris, mon estomac me lance des regards aguicheurs. Quant à moi, convaincu, je vais vers le comptoir jeter un œil à la carte détaillée. Une étape indispensable, puisque les options les moins chères ne sont évidemment jamais mentionnées sur les affiches.

Je ne suis encore qu’au chapitre Durum+Patatas quand il arrive, et Le Maitre Kébabier me demande ce que je veux. Un peu pris de court et étonné par sa question, je réussis tout de même à dégainer mon Espagnol. Celui-ci a encore quelques points de rouille, mais grince déjà beaucoup moins qu’il y a deux semaines. Je veux à tout prix éviter de payer le menu complet (6€50), j’ai seulement besoin d’un sandwich (4€). Je dis alors avec mon meilleur accent :
« Hola, un kebab de carne sólo por favor.
– Vale ! Y quieres salsa ?
– Si !
– Perfecto, hace cuatro euros. »
Mon accent doit être bon: il ne m’a pas répondu en français ! Ou alors il ne parle tout simplement pas français…

C’est parfait, j’ai payé seulement 4€ pour mon « kebab de carne », il a bien compris ce que je voulais. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’ici, les kébabs sont soit « de carne », c’est à dire avec la viande à kébab habituelle, soit « de pollo », au poulet. Rien d’autre. Ni escalope, ni steak, saucisse ou cordon bleu. Ici à Bilbao, la gentrification des kébabs n’a pas encore eu lieu.

Deux minutes et vingt-te-trois secondes plus tard, je reçois mon repas. Es Pulit ! Il a l’air bien garni sous son papier d’aluminium ! La faim me tiraille, mais étant toujours en retard, je cours à l’arrêt de bus rejoindre mes amies. Une fois arrivé — Gabriel n’est toujours pas là, parait-il qu’il vend une calculette sur Leboncoin — il reste un peu de temps avant le départ du bus, la dégustation peut commencer !

J’enlève le papier d’alu. Wow ! La quantité de viande est gargantuesque — enfin pour un kebab, faut pas pousser non plus. De la sauce, et de la viande. Beaucoup de sauce, mais j’essaie de manger sans faire trop de dégats. Après quelques bouchées, un souvenir me revient: je devais avoir un peu moins de onze ans. Mon cousin me dit : « Eh tu trouves pas que le cassoulet sent les herbes de Provence ?» Moi pas méfiant pour un sou, je sens… Et sprlosh ! Albatar, il m’a foutu la tête dedans… Pas très Es Pulit hein ? Et bien là, j’ai la même sensation : je mange mon kébab, j’enfouis ma tête dedans et j’en ai partout plein le visage.

C’est alors que j’en prends conscience, entre deux bouchées bien assaisonnées: à ce stade, toujours aucune trace de la salade, des tomates ou des oignons. Ils ont tout bonnement l’air de s’être faits la malle. Je sors mon sandwich de son emballage pour voir s’ils ne se sont pas cachés dessous, mais non, toujours rien. C’est quand même bizarre, ils n’ont pas pu aller bien loin… Je reprends les recherches plus brutalement, en éliminant de sang froid tout bout de viande sur mon chemin. En vain, après cet effort hors du commun, démotivé, je touche le fond (du pain).

Je tourne et retourne ce qui reste du kébab, entre trois doigts luisants de graisse et dans mon cerveau — pour préserver les autres — mais non, rien, il a dû se tromper. Je finis le pain. Je lui ai pourtant bien demandé « Un Kebab de carne solo » …

— Oh Macarel de ses morts ! comme dirait mamie.

C’est bien ça, on m’a tout bonnement donné un kébab « de carne solo », non pas tout seul mais seulement à la viande… Ils n’ont donc rien oublié, c’est moi qui me suis roulé tout seul dans la farine…

Morale de l’histoire : pour manger de bons kébabs, affûtez votre Espagnol !

3 commentaires

  1. La légende raconte que Gabriel n’est toujours pas arrivé.

    Le kébabier qui a dû se dire « wah, quel véritable carnivore O_o »

  2. on a de vrais écrivains au Bivouhack ! c’est passionnant !
    En attendant j’attends qu’un étudiant en socio fasse une thèse sur la gentrification des Kébab. Je suis sûr qu’il y a vraiment évolutions intéressantes à étudier.

  3. Acerbe et plein d’humour, la critique demande le prix Goncourt

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