Ma nouvelle idée, c’est de grimper le Nuevo Mundo, un chic sommet que j’ai vu sur la carte. Le problème, c’est que c’est loin de tout et que je n’ai que trois jours avant de retrouver Guillaume à La Paz pour notre dernière aventure…
Jeudi 1er septembre (suite). J’arrive vers 22h à Rio Mulato. C’est un bled au milieu duquel passe la route, et c’est tout. D’après la carte, il y a un alojamiento. Je demande l’adresse à un commerce encore ouvert, je tourne en rond, je frappe à des portes, rien.
Finalement, je croise deux jeunes dans la rue. Je leur demande où est l’alojamiento, on cherche un peu ensemble et on arrive à la conclusion qu’il n’y en a pas. Ayant sympathisé un petit peu pendant ce temps-là, un des jeunes me propose de dormir chez lui. Super ! J’accepte volontiers.
Il s’appelle Sander, il a 18 ans et il est dans sa dernière année de lycée. Selon lui, la plupart des habitants de Rio Mulato sont des agriculteurs ou des éleveurs ou les deux. Ses parents sont les deux. Ils élèvent quelques lamas et cultivent du quinoa. Pendant toutes ses vacances, il les aide. Il me dit que le travail à la ferme est dur. Mais cet été, après la fin de l’école, il va partir au service militaire à Potosi. On dirait qu’il a hâte de se casser, ça se comprend.
Il habite dans une dépendance de la maison de ses parents depuis qu’il a 15ans. Il dit que c’est comme ça ici, les jeunes sont assez indépendants. La maison est organisée avec trois petites maisons autour d’une cour. Les toilettes sont dehors, l’eau aussi. Il y a quand même l’électricité. C’est rustique mais fonctionnel, comme beaucoup de choses ici.
Vendredi 2 septembre. Sander entre dans la chambre vers 7h30 pour travailler sur ses devoirs. Je me lève, plie mes affaires et zou, c’est parti.
Dans le village, c’est le jour de marché. Des dizaines d’étals se mettent en place petit à petit. Et pas mal de bouffe ! Je me fait un petit dej de roi avec un api con pastel (bugne au fromage frite accompagnée de bouillie de maïs rouge) puis une solide soupe de lama. Je suis bien calé.
Et puis c’est partie pour marcher. Je veux me rendre au village le plus proche du sommet : Carlos Machicao (et oui, c’est bien le nom du patelin). À première vue, j’avais vu une dizaine de km pour y aller. Même si il n’y a pas de voitures, ça devrait passer.
Rio Mulato, c’est un village dans une sorte d’affaissement d’une grande plaine monotone. Quand je sort de cet affaissement, je fais face à une plaine salé derrière laquelle commencent les interminables montagnes qui finissent dans les basses plaines après plus de 200km de largeur !
Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’émeut. C’est normal que cette terre soit aussi salée, si elle recueille les larmes de tous les voyageurs.
Il n’y a pas de voitures pour me prendre. Et puis c’est long, très long. Je finis par revérifier sur la carte : 23km au lieu de 10. Ah ben oui, c’est normal si c’est long.
Mais je suis en forme et j’arrive au village vers 13h. Ya pas foule. Seulement une poignée enfants qui jouent devant l’école, ça doit être la sortie des classes. Quand je m’approche, ils ont un peu peur. Je brise un peu la glace en disant des trucs bateau et je leur demande si leur instituteur est là. Ils vont le chercher. C’est un bonhomme d’une quarantaine d’années avec une tronche d’intello, il dénote par rapport aux paysans de la région. Mais il dégage aussi un air de responsabilité de l’homme qui a le devoir d’éduquer et d’aider ces gamins du fond du monde, et qui prend ça très à cœur. D’ailleurs, il part en 4×4 ramener un enfant chez lui.
Il y a deux femmes relativement âgées qui sont sorties également. Elles sont en vêtements traditionnels et ont la peau bien tannée par me soleil (comme tout le monde dans le coin en fait). Elles me tendent à manger, je suppose que ce sont les restes de la cantine. Du riz avec des légumes, c’est bon ! Pendant que je mange, les enfants me demandent plein de mots en français : chien, bonjour, merde, voiture, ils me tournent autour en se chamaillant et en parlant fort. Il y a tous les archétypes de mioches : le grand qui a la confiance, le petit un peu paumé avec un morcavé qui coule, le gros qui reste assit, la petite timide qui évite mon regard, le maigrichon qui se fait frapper par tout le monde, etc. C’est pittoresque.
Un ami de courte durée de Potosi m’avait dit que le Mundo est en fait une montagne assez connue et qu’il y a beaucoup de légendes autour. Il en connaissait vaguement deux : une selon laquelle un prêtre s’était changé en pierre en traversant une arrête de la montagne et une autre selon laquelle les âmes des morts vont jusqu’à cette montagne pour passer dans l’autre monde. Hyper classe !
Du coup, je demande aux femmes si elles connaissent la légende de la montagne. L’une d’elle dit que oui et se propose de nous la conter. Je me retrouve entouré des enfants à écouter la légende.
Elle commence par dire que cette légende lui a été transmise par ses grands-parents, qui eux mêmes l’ont reçu de leurs grands-parents. Ça en impose. Et après, j’ai pas tout tout compris, mais en gros, le Mundo est un bonhomme qui était en couple avec le Cerro Potosi. Je crois même qu’ils avaient un gosse. Sauf qu’un jour, le Mundo est allé voir le Tunupa, pour sentir si son herbe était plus verte. Bien sûr, comme on ne peu rien cacher à une montagne, le Cerro Potosi s’en rendit compte et se tira du foyer. Le Mundo se rendit compte de son erreur et la supplia de revenir, mais elle (le Cerro Potosí) refusa catégoriquement. Alors le Mundo lui jeta un genre de malédiction, qui fait que le Cerro Potosi se remplit d’argent et se fait bouffer de l’intérieur par les mineurs, un peu comme des vers dans une pomme, sauf que la pomme c’est ton ex.
J’ai pas trop saisit la morale de l’histoire, mais ça peut expliquer pourquoi le Cerro Potosi est plus petit que les autres montagnes est pourquoi le Mundo se trouve entre le Tunupa et le Cerro Potosí.
Entre les gamins curieux et bruyants, l’instituteur responsable et les cantinières conteuses, j’ai l’impression d’être dans un roman qui décrit la vie d’un village au début du siècle dernier, c’est très chouette. Avant de partir, la conteuse me confie que je lui rappelle un voyageur qui lui avait demandé à manger il y a environ 35 ans. Ouch. En fait je pense qu’il y a un peu de monde qui vient pour le sommet, mais ils ne s’arrêtent pas dans ce bled, tout simplement.
Sinon, à Carlos Machicado (ou Machicao), il y a une usine de chaux qui ne tourne plus depuis des décennies et une voie ferrée qui ne prend plus de passagers depuis des décennies. Par contre, derrière l’usine, il y a des bains thermaux en libre accès. Excellent à savoir !
Et puis je remarche. Trop. Je me déteste un peu mais je me suis fixé un objectif un peu ambitieux. Je traverse des montagnes, des canyons à la con, et j’arrive à la Estancia Huayhuasi peu avant le coucher du soleil, je suis complètement rincé, j’ai mal aux pieds, mal au dos, mal aux jambes, j’ai soif, je suis poisseux et poussiéreux.
Une Estancia, c’est l’équivalent d’un alpage chez nous, mais avec des lamas. La Estancia Huayhuasi, c’est un petit village presque totalement abandonné depuis longtemps perché à plus de 4500m d’altitude sur le bord d’une vallée aride où coule un ruisseau au fond d’un canyon de sable. J’arrive à trouver une maison ouverte et pas encore en ruine pour y passer la nuit. Ce qui est troublant, c’est que les belles maisons sont abandonnées depuis longtemps alors que celles encore debout sont vraiment les plus basiques et les plus petites.
D’ailleurs, la mienne doit faire 4x2m à tout péter et elle est trop basse pour que je puisse tenir debout dedans. Il y a une couchette en pierre, une petite cheminée en pierre et quelques ordures par terre.
Je finis par dormir plutôt confortablement et au chaud (tout est relatif) dans la maisonnette.
Samedi 3 septembre. À 6h30, je vois qu’il y a des nuages dehors. Putain nan ! J’espère ne pas m’être tapé toute cette route pour rien !
Alors je prends un peu mon temps, je me fais un gros petit déj, je profite d’être au chaud dans la masure. Et puis le ciel s’ouvre petit à petit. Ça va le faire ! Je pars.
Je pose mon gros sac au pied de la montée du Mundo et je commence à grimper. Le Mundo, c’est un gros tas de sable de 1500m de haut posé dans les montagnes à la limite Est de l’altiplano. C’est un volcan qui culmine à 5438m. Il ne présente que des pentes douces, ce qui ne le rend pas impressionnant du tout, du moins en face nord où je suis. De plus, il n’a pas de sommet : c’est juste un genre de plaine collineuse et gelée en haute altitude. J’y arrive vers 11h, l’ascension n’est vraiment pas compliquée.
Sur la plaine somitale, un vent violent donne une bonne ambiance de haute altitude. Il y a des névés gelé et du sable. Comme j’ai la pêche et que je ne ressens pas vraiment l’altitude, je me ballade de collines en collines. C’est grand, je ne peux pas tout traverser ! Alors je reste sur la partie la plus haute. Sur certains sommets le vent est si fort qu’il lève le sable et me fait perdre l’équilibre.
Et puis j’arrive face à un énorme trou au milieu de la plaine. Un cratère ? Peut-être, mais seulement de glace ! Je me rend compte que la plaine sur laquelle je me ballade depuis une heure est en fait un grand glacier caché sous une généreuse couche de sable. Impressionnant !
Et puis il faut redescendre. J’ai la méga pêche et la descente dans le sable est super facile, alors je me permet un autre sommet histoire de ne pas regretter la descente. J’aimerais bien passer plus de temps sur le Mundo. Il y a beaucoup de surface au dessus de 5000m et j’aurais bien aimé tout traverser et redescendre de l’autre côté, au sud. Mais pas le temps, le voyage est déjà bientôt fini.
Très vite, je rejoins les hautes prairies presque plates et là, c’est chiant. Trop de distance, trop de canyons qui barrent la route, je suis rincé.
Finalement, j’arrive à l’estancia Thola Khaua une petite heure avant le coucher de soleil. Toutes les maisons sont abandonnés à l’exception de deux, fermées à double tour. Et pire que tout, le ruisseau est asséché et je n’ai plus d’eau. Hors de question donc de rester ici pour la nuit. La bonne nouvelle, c’est qu’à partir d’ici, il y a un vrai chemin qui rejoint la route.
Pas très loin sur le chemin, je vois une estancia plus moderne, en briques. Super ! J’approche en demandant si il y a quelqu’un pour signaler ma présence. Une vieille dame m’ouvre, c’est le début d’une nouvelle aventure.
Il s’agit de Roberta, une éleveuse de brebis et de lamas. Elle doit avoir dans les 20 lamas et 30 brebis à vue de nez. Elle vit seule ici depuis 5/6 ans. Avant, elle avait une autre estancia plus haut, mais il n’y avait pas assez d’eau.
Pour rappel, une estancia c’est un genre d’alpage. Il y en a énormément dans la région, les bergers y montent d’août à avril/mai, de la fin de l’hiver à la fin de la saison des pluies (été). Huit ou neuf mois quand même ! La raison est simple, c’est parce qu’il n’y a pas assez d’herbe en bas pour les bêtes.
Je demande à Doña Roberta si je peux planter ma tente dans la cour. Elle m’invite à me mettre dans l’étable parce que les bêtes me rechaufferons pendant la nuit. Ce que j’appelle l’étable est en fait un abris semi-ouvert plein de caca de lama (c’est comme des petits cailloux tout durs). Je suis sûr que je dormirais mieux dans la cour, mais ça peut être marrant d’aller dormir avec les bêtes. Finalement, il y a un plancher dans l’étable, il est impossible de planter la tente. Je vais dormir sans, j’espère juste qu’aucune bestiole ne viendra me pisser dessus !
Pour traire ses brebis, Doña Roberta coince la tête de la bête entre ses jambes, puis elle se cambre sur le dos de l’animal pour atteindre ses pis. Il faut être sacrément souple pour faire ça ! Elle ne trait que 3 ou 4 brebis et en tire même pas un litre de lait au total. C’est pas intensif. Tous les deux jours, quand elle a asssez de lait, elle fait quelques fromages pour sa consommation personnelle et pour en vendre au village.
Doña Roberta m’invite à manger avec elle. Au menu, une soupe de légumes avec un peu de viande de lama dedans. Ensuite, elle me sert des ocas avec du fromage de brebis frais. Les ocas, c’est des sortes de petites patates un peu douces. En fait c’est l’équivalent d’un sérac de brebis avec des patates, c’est délicieux !
Et enfin en dessert, j’ai droit à une infusion de pommes avec un peu de lait en poudre. Et comme elle n’a pas de gateau pour aller avec, Doña Roberta met de la farine de riz dans un bol, qu’elle arrose avec du thé pour faire une pâte. Enfin, elle mange cette pâte avec le thé. C’est rustique, mais pas dégueu et bien nourrissant.
On discute. Apparemment, toutes les estancias du coin appartiennent plus ou moins à sa famille. Des cousins, des oncles, des frères, etc. Notamment la estancia Huayhuasi où j’ai dormi hier soir. Apparemment, la plupart des maisons sont abandonnés tout simplement parce que les gens sont morts. Des grands-parents, des oncles et tantes. Ceux qui en ont hérités ne les utilise pas parce qu’ils n’ont pas de bêtes. Si j’ai bien compris, ce sont plutôt devenus des agriculteurs au village ou alors ils ont émigrés en ville, à Uyuni ou Potosi. J’imagine que la vie là haut est beaucoup trop dure et ne rapporte pas assez pour que des jeunes aillent se faire chier avec ça.
Elle n’est jamais monté sur le Mundo : il n’y a pas d’herbe pour les bêtes là haut. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’il y fait terriblement froid et que la glace n’y fond jamais. Elle me demande si j’ai des photos, je le les lui montre. C’est la première fois qu’elle voit le sommet de la montagne qu’elle aperçoit tous les jours depuis 70 piges.
Et puis il est déjà 19h passé, l’heure du dodo. Je rejoint les lamas et les brebis pour la nuit.
Dimanche 4 septembre. J’étais un peu malade au début de la nuit et puis c’est bien passé. Finalement, rien à signaler, j’ai même bien dormi !
Je plie et je passe encore un peu de temps avec Doña Roberta. Elle m’offre un bon bol de soupe pour le petit déj et je la regarde mouler le fromage de brebis avec une planche et une corde circulaire. Au moment de partir, c’est à moi de donner. Je lui file la bouffe qu’il me reste (je n’en aurait plus besoin) ainsi qu’une poignée de pesos pour la pension. Elle accepte de se faire prendre en photos. Elle aime beaucoup regarder les photos d’elle, de la ferme et du sommet. J’aimerais bien lui envoyer des tirages, mais ça risque d’être compliqué dans un pays où la poste est quasiment inexistante…
Et puis c’est reparti pour marcher. Je descends en moins de 2h à Carlos Machicao. Je fonce aux eaux thermales et je passe plus d’une heure le cul dans l’eau chaude, c’est trop bon !!!
Et puis vers midi, il faut se remettre en route, j’ai encore mes 23 bornes à faire pour arriver à Rio Mulato. À moins qu’une voiture me prenne cette fois ci ! Aucune voiture ne passe dans mon sens, c’est la misère. Je marche pensans plus de 5h face au vent. Entre les collines, il est assez fort pour faire des mini tempêtes de sables, j’en prend plein les yeux.
Quand j’arrive enfin, je suis complètement rincé, j’en peux plus de ce pays de cons. J’avale une assiette de poulet rôti au riz comme si c’était un biscuit apéro.
Et puis je prends le premier bus pour Oruro, adieux le Mundo et surtout adieux à ses habitants.
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Bravo
C’est dingue comme périple ! Ce que tu ne dis pas c’est que tu devais etre dopé à la coca pour réussir à traverser ce désert !
Ptet ben qu’oui…
Gros malade j’ai kiffé
J’aime te divertir mon salaud