J’ai pas mal discuté avec mon coloc Nico ces derniers temps. Il a insisté sur une chose : pour se faire sa place ici quand on débarque depuis la France, il faut tchatcher. Il faut rencontrer du monde pour trouver les bonnes opportunités. Perso, je suis pas dans l’optique de trouver l’entreprise de mes rêves qui pourra sponsoriser mon visa japonais de longue durée, mais je suis assez d’accord. A Tokyo, on est qu’une âme parmi la masse. Il est extrêmement facile de vivre seul, sans parler à quiconque. Il y a plein de lieux et d’activités adaptés. On trouve des tables pour personnes seules dans quasiment tous les restaurants, et je ne parle pas des restos où c’est même l’inverse : 90% de tables individuelles et deux trois tables carrés pour ceux qui viendraient à plusieurs. On commande sur un écran, on mange en matant une vidéo sur son tel, on dépose son plateau où il faut et basta.
Je m’efforce de ne pas tomber dans ce travers, et pour cela, j’applique la philosophie du Yes Man. Chaque fois qu’on me propose de faire un truc avec quelqu’un, je réponds Yes (wo)man ! Comme l’impro me l’a appris avec le « Oui et », la base pour aller loin, c’est d’accepter les propositions.
Mon niveau de japonais n’est pas assez élevé pour que je puisse m’incruster naturellement dans des groupes d’amis japonais. Je traine donc beaucoup dans des cercles assez internationaux. Et de toute façon, c’est dans les évènements anglophones internationaux qu’on trouve facilement des gens ouverts à la rencontre. Ces trois dernières semaines, j’ai discuté avec beaucoup d’américains, pas mal d’asiatiques, et quelques européens.
Je rencontre surtout des gens grâce à l’appli Meet Up, qui propose essentiellement des évènements anglophones.
- Je continue l’impro en anglais… et j’ai même été approché par un gars qui tient un groupe d’impro en français. Sa femme est diplomate, il change donc régulièrement de pays et sa vie professionnelle, c’est de refonder une nouvelle troupe d’impro à chaque fois. Ça fait de lui une sorte de missionnaire de l’impro francophone.
- Je suis allé à une session d’échange linguistique francophone. J’y ai rencontré une chercheuse qui va tenir, en français, une conférence sur les langues régionales de France et du Japon. Elle m’y a invité. Je compte y aller : ce sera l’occasion de glaner des contacts du monde de la recherche en urbanisme pour mon petit projet de reportage.
- J’ai rejoint une session d’escalade en bloc. Je suis venu avec eux, mais je suis reparti avec d’autres ! En galérant ensemble sur une voie, j’ai fait la rencontre d’un groupe de gens vachement sympas et on est aller se faire un resto ensemble après le sport. Il se trouve que ce sont des amis issus d’une église protestante, un mix d’américains et de japonais. On parlait donc anglais ensemble.
Globalement je me sens mieux maintenant que j’ai un appartement. J’ai pu faire toutes les démarches administratives, ce qui était à la fois très bien fait et vachement compliqué : on s’occupe très bien de moi à chaque étape. Dans les deux mairies où je suis allé, les fonctionnaires avaient des téléphones lockés sur Google Translate pour communiquer avec les étrangers. En revanche, y a une belle quantité de papiers à faire et une assurance maladie compliquée à avoir.
Après cela, j’ai pu entamer ma recherche d’emploi. Un peu comme avec Meet up, je recherche sur les sites conçus pour les étrangers, Yolo Japan en premier lieu. Je compte essayer plus tard les sites purement japonais.
J’ai envoyé des CV à une certaine quantité de restos et de cafés, dans l’idée d’y être serveur ou cuisinier de trucs simples, à temps partiels. Les jobs peu qualifiés à temps partiels sont très, très communs au Japon. On appelle ça les baitos (de l’allemand arbeit. Je sais pas d’où ça sort. Peut-être de leur légendaire flexibilité du marché du travail). Les étudiants font très souvent un baito en parallèle de leurs cours. Avec le manque de main d’œuvre, de nombreux secteurs recrutent aussi des étrangers, typiquement dans les Konbini, ces supérettes hyper pratiques ouvertes 24h/24h que l’on trouve littéralement à tous les coins de rue, quand il n’y en a pas plusieurs, parfois de la même enseigne, dans le même coin de rue.
D’après mon poste PVTiste Thomas, les entretiens d’embauche sont expéditifs : pas besoin de lettre de motivation, le CV ils l’ont via le site, et hop : deux trois questions, quelques indications et c’est parti. C’est aussi parce qu’on peut se casser, ou se faire virer facilement.
Mais je n’ai pas postulé dans les konbini, on m’a dit que ça payait mal et que les horaires étaient relous. Moi je veux bosser en journée pour faire des trucs le soir, pas me faire déglinguer mon sommeil avec des shifts de nuit. Je suis en visa vacances-travail pas travail-travail.
J’ai eu trois entretiens d’embauche radicalement différents :
- Un restaurant de ramen. Le patron m’a accueilli à l’intérieur et m’a rapidement demandé mon CV. Sur le site, il y avait une liste de choses à apporter. Le CV n’en faisait pas partie. Mince. La discussion était à 100% en japonais et j’ai pas mal galéré. Est-ce que c’est ça, l’absence du CV ou les deux ? L’entretien ne s’est pas éternisé, j’ai senti que le patron n’était pas emballé. Le lendemain, il m’a dit non par SMS.
- La cafétéria d’un lycée. L’interviewer me retrouve devant l’entrée du mauvais bâtiment. Je croyais être devant le lycée. C’était une espèce de centre de formation pour professeur. Puis il m’explique que c’est les vacances scolaires et qu’on va donc faire l’entretien dans un « kissaten ». Je me creuse la cervelle pour me remémorer ce mot… et quand je vois l’enseigne ça me revient : un salon de thé/café. Le gars nous prend deux cafés et on s’attable. Idem, la conversation se déroule entièrement en japonais. Il ne parle quasiment pas un mot d’anglais de toute façon. Cette fois, j’ai préparé des trucs pour parer à toute éventualité : j’ai imprimé mon CV et une liste de phrases utiles, comme l’explication de mes dispo, et la description de mon expérience de serveur. L’entretien se passe bien, le gars est sympa. A un moment donné, il me parle de médecin puis insiste sur un mot « kenben, kenben » alors je checke la définition sur mon téléphone. Quel ne fut pas ma surprise : c’est l’analyse des matières fécales. On m’a expliqué un peu plus tard qu’au Japon, quand on bosse dans la restauration, on doit faire analyser son caca de temps en temps. Pour checker qu’on ait pas des maladies bizarres. Eh bien pourquoi pas, je ferai caca dans une boite. A la fin de l’entretien, le monsieur me ramène chez moi avec sa voiture car on vit dans le même quartier. Lui, il y est même depuis 50 ans. Pas mal. Il me raconte aussi avoir vécu un peu aux Etats-Unis avec une sorte de famille d’accueil. J’ai supposé que son niveau de japonais s’était atrophié depuis lors. Chaque fois qu’on se comprenait pas, il essayait de trouver la traduction anglaise… et n’y arrivait pas souvent.
- L’entreprise mystère. J’ai reçu des SMS mystérieux venant d’un certain Value Staff qui me proposait des horaires d’entretien. Ils m’ont même téléphoné. J’ai donc demandé (en japonais) mais qui diable êtes-vous ? La réponse « *truc japonais*… resutoran…*trucs japonais* ». Je finis par y aller sans trop savoir où je vais me retrouver. Eh bien c’est dans un étage d’une grosse tour de verre et d’acier, quelque part dans un quartier d’affaires. Je suis accueilli par des femmes en tailleur qui me font regarder une vidéo sur une tablette. En fait, je suis dans une boite d’intérim. Après cette vidéo TRES longue et un énième formulaire d’information à remplir, je passe en mode entretien avec une de ces femmes en tailleur. Elle me propose un job dans un restaurant qui a l’air assez chic et me représente les choses que j’ai vu dans la vidéo. Il se trouve que pas mal de restos du genre vieille école demandent à leurs serveurs de : s’acheter des chaussures noires en cuire, un pantalon noir habillé, un stylo-plume noir et un carnet noir. Il faut aussi porter une montre (à aiguille si j’ai bien compris)… et se raser à blanc la barbe… J’ai donc refusé son offre.
Je préfère faire caca dans des boites plutôt que de me raser. Ça tombe bien : le gars du lycée m’a recontacté et ils veulent me prendre.
Wah tu vas bosser dans un lycée au Japon ! Tu seras désormais le Great Teacher Onisuka dans mon cœur.